Art poétique
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfčre l'Impair,
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pčse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise ;
Rien de plus cher que la chanson grise
Oł l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derričre des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rźve au rźve et la flūte au cor !
Chanson d'automne
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blźme, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure;
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deēą, delą
Pareil ą la
Feuille morte.
Le ciel est par dessus....
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si beau, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est lą,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-lą
Vient de la ville.
-Qu'as-tu fait, ō toi que voilą
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilą,
De ta jeunesse?
Clair de lune
Votre āme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire ą leur bonheur
Et leur chanson se mźle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rźver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout ą l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lčvres sont molles,
Et l'on entend ą peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
-Te souvient-il de notre extase ancienne?
-Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
-Ton coeur bat-il toujours ą mon seul nom?
Toujours vois tu mon āme en rźve? -Non.
-Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Oł nous joignions nos bouches! -C'est possible.
Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir!
-L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Les ingénus
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rźveuses ą nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre āme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.
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